Orion aveugle. Visible, invisible : approches croisées
Magie et sciences humaines
Xavier Papaïs (U. Genève), avec Nadia Barrientos (CIPh), Clément Bodet (CIPh / U. Aix-Marseille), Thibaut Rioult (Centre Jean Pépin / CIPh)
Séminaire de recherche à l’Ecole Normale Supérieure, 45 rue d’Ulm, 75005 Paris.
L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible. (Paul Klee)
Dans un temps que domine le spectacle, saturé ad nauseam d’images consommables et par suite consumantes, obnubilantes voire obscènes, il importe de se pencher à nouveau sur la visibilité du monde. Comme toute perception entrelace deux dimensions qui dépassent toujours les limites de l’objectivation directe : le visible et l’invisible.
L’art, par excellence, ouvre aux secrets du visible. En effet, il n’est jamais une pure donation d’objet (Maldiney). Qu’il capte ou convertisse le réel sur le mode d’un “miracle sans transcendance” (Deguy), il creuse toujours une ligne de fuite vers l’invisible : esquisses, ombres, vibrations, nuances, effacements, apparitions, déchirements. Selon des « voies indirectes », occultes ou latentes (Klee, Merleau-Ponty).
Exercice spirituel, l'image ouvre un foyer de tensions, attractions ou répulsions, qui tisse entre les êtres des liens d’empathie (Warburg, Stein). Ceux-ci entrecroisent les regards, tressent des participations (Lévy-Bruhl), fascinations ou bien libérations. En cryptant notre vie sensible dans l’invisible, l'image alors ouvre une chambre d’échos, lieu premier de toute mimésis (Platon, néoplatoniciens). Ce qui se joue en elle, c’est donc le tissage de continuités sensibles, premières voies d’accès au monde ambiant (Husserl, De Martino). À la question si rebattue des “pouvoirs de l'image” (Marin, Debray), on doit substituer celle de la puissance imaginale, matrice de toute expérience sensible (Corbin).
Marcher : créer. D’après Claude Simon, on se place sous le signe d’Orion aveugle, le géant qui découvrait la vision en marchant, recréant son regard à chaque pas.
C’est pourquoi on propose un dialogue entre deux formes extrêmes de la représentation : l’illusionnisme et la photographie, la mystification et la restitution du voir. La photographie s’attache au référent direct et impose la force d’une apparition qui nous rapte (Barthes). En sens inverse, l’illusion met en scène l’impossible par les ruses de la feinte, lance un défi démiurgique à l'ordre naturel, aux limites du visible : elle fait tournoyer la direction de tout regard (Houdin, Baltrusaïtis). Dans ces deux cas extrêmes, toute visée objectale se trouve bouleversée, et renvoyée vers une dimension charnelle plus profonde.
Selon Benjamin, la perte de l'aura dans les productions automates a effacé tout rapport cultuel à l’art. On espère retrouver aujourd’hui d’autres voies pour une empathie nouvelle entre regard et réel. Par suite, d’autres contours possibles pour le maintien d’une vie sensible.
Un samedi par mois (10h–13h) : Salle Paul Celan, Salle de Conférence, Salle Cavaillès, Salle Paul Langevin, ENS, 45 rue d'Ulm 75005 Paris.
Renseignements : CIPh, 1 rue Descartes, 75005 Paris / ENS, Caphes (Ums 3610 du CNRS), 29 et 45 rue d'Ulm 75005 Paris. Sites web : www.ciph.org / www.caphes.ens.fr /