"Fragments d'un enseignement inconnu", texte de Piotr Ouspenski, 1947.
INTRODUCTION
Passages tirés du volume Fragments d’un enseignement inconnu, où le l’homme de science Peter D. Ouspensky illustre la doctrine de son maître, le mystique arménien G. I. Gurdjieff.
Ce dernier conçoit l’idée d’un parcours – « le travail », comme il le nomme – pour tout homme qui veut travailler sur son intériorité. Rejetant les renoncements communément requis par les chemins d’évolution spirituelle, ce que Gurdjieff propose est une quatrième voie que l’homme ordinaire puisse parcourir sans abandonner sa vie quotidienne dans la société moderne.
La première étape de ce parcours est la réalisation d’un centre de gravité permanent. Il se trouve, selon Gurdjieff, que tout individu concentre naturellement son attention soit sur le centre moteur (physique), soit sur le centre émotionnel, soit sur le centre intellectuel, de son mental ; au contraire, l’homme évolué arrive à équilibrer ces trois tendances et à constituer un centre de gravité permanent, point de départ du chemin d’évolution qui suit.
PREMIERE CITATION
Le travail sur soi, correctement conduit, commence par la création d’un centre de gravité permanent. Lorsqu’un centre de gravité permanent a été créé, tout le reste, en se subordonnant à lui, s’organise peu à peu. La question se résume donc ainsi : à partir de quoi et comment un centre de gravité peut-il être créé ? Et voici la réponse que nous pouvons donner : seules, la juste attitude d’un homme à l’égard du travail, à l’égard de l’école, son appréciation juste de la valeur du travail et sa compréhension de la mécanicité ou de l’absurdité de tout le reste, peuvent créer en lui un centre de gravité permanent.
DEUXIEME CITATION
« Une fois encore, prenons l’idée de l’homme. Dans le langage dont je parle, au lieu du mot “homme”, on fait usage de sept mots, soit : homme n° 1, homme n° 2, homme n° 3, homme n° 4, homme n° 5, homme n° 6, et homme n° 7. Avec ces sept idées, nous serons en mesure de nous comprendre lorsque nous parlerons de l’homme.
« L’homme n° 7 est parvenu au développement le plus complet qui soit possible à l’homme, et possède tout ce que l’homme peut posséder, notamment la volonté, la conscience, un “Moi” permanent et immuable, l’individualité, l’immortalité, et quantité d’autres propriétés que, dans notre aveuglement et notre ignorance, nous nous attribuons. Ce n’est que jusqu’à un certain degré que nous pouvons comprendre l’homme n° 7 et ses propriétés, ainsi que les étapes graduelles par lesquelles nous pouvons l’approcher, c’est-à-dire le processus du développement qui nous est possible.
« L’homme n° 6 suit de près l’homme n° 7. Il ne diffère de lui que par quelques-unes de ses propriétés, qui ne sont pas encore devenuespermanentes.
« L’homme n° 5 est aussi pour nous un type d’homme inaccessible, car il a atteint l’unité.
« L’homme n° 4 est un degré intermédiaire : je parlerai de lui ensuite.
« Les hommes n° 1, 2 et 3 constituent l’humanité mécanique : ils demeurent au niveau où ils sont nés. L’homme n° 1 a le centre de gravité de sa vie psychique dans le centre moteur. C’est l’homme du corps physique chez lequel les fonctions de l’instinct et du mouvement l’emportent toujours sur les fonctions du sentiment et du penser.
« L’homme n° 2 est au même niveau de développement, mais le centre de gravité de sa vie psychique est dans le centre émotionnel ; il est donc cet homme chez qui les fonctions émotionnelles l’emportent sur toutes les autres, il est l’homme du sentiment, l’homme
émotionnel.
« L’homme n° 3 est lui aussi au même niveau de développement, mais le centre de gravité de sa vie psychique est dans le centre intellectuel, en d’autres termes, c’est un homme chez qui les fonctions intellectuelles l’emportent sur les fonctions émotionnelles, instinctives et motrices ; c’est l’homme rationnel, qui a une théorie pour tout ce qu’il fait, qui part toujours de considérations mentales.
« Chaque homme naît n° 1, n° 2, ou n° 3.
« L’homme n° 4 n’est pas né n° 4. Il est né 1, 2 ou 3 et ne devient 4 qu’à la suite d’efforts de caractère très défini. L’homme n° 4 est toujoursle produit d’un travail d’école. Il ne peut pas naître tel, ni se développer accidentellement ; les influences ordinaires de l’éducation, de la culture etc., ne peuvent pas produire un homme n° 4. Son niveau est supérieur à celui de l’homme n° 1, 2 ou 3 ; il a un centre de gravité permanent qui est fait de ses idées, de son appréciation du travail et sa relation à l’école. En outre, ses centres psychiques ont déjà commencé à s’équilibrer ; en lui, un centre ne peut plus avoir sur les autres une prépondérance, comme c’est le cas des hommes des trois premières catégories. L’homme n° 4 commence déjà à se connaître, il commence à savoir où il va.