Sur la "Table Ronde" arthurienne de Marcel Mauss (1924)

Voici l'ultime page conclusive du grand Essai sur le don (1924), lequel s'achève par une évocation de la mythique "Table Ronde" du roi Arthur, meuble en bois qui au moyen âge résumait tout l'esprit de chevalerie, soit : de solidarité communautaire.

Cela, contrairement aux versions kitsch, seigneuriales ou néo-féodales de la légende. Celle-ci exprime le mouvement du "Libre-Esprit" : elle oppose un refus net aux notions de hiérarchie (laïque ou religieuse), de territoire ou de propriété.

En effet : en termes physiques, une "table ronde" met toutes les personnes au même niveau. Au contraire d'une table horizontale qui distribue par contiguïté les rôles de compagnons (latin : comites ; français : comtes) à partir de la place du roi ou du chef.
Le meuble circulaire est donc d'abord un dispositif politique, qui soude sur lui deux exigences indissociables : a. l'honneur (dignité personnelle et collective, parole donnée, lien de foi, réciprocité) et b. l'égalité entre pairs, laquelle exclut convoitise et captation personnelle.

C'est le double sens du mot "parage", cri de bannière des occitans quand le sud de la France, la Provence et l'Aragon se soulevèrent contre l'invasion française, au tout début du XIII° siècle.
Un refus relayé ensuite par les pays alpins (Piémont, Savoie, futurs cantons suisses), la République de Venise et les états d'Italie du sud.

C'est le concept que Simone Weil, au même moment que Marcel Mauss, tenta de ressusciter.

Bien sûr, contre les totalitarismes et la toute-puissance machinique de l'argent et de l'industrie de masse.  C'est-à-dire contre la "mobilisation totale" (en termes marxiens : la "substance automatique", selon les Manuscrits de 1844).
Autrement dit contre la guerre générale : que cette guerre soit privée (économique), sociale (lutte des classes), intra-étatique (despotisme) ou inter-étatique (guerres entre "nations").

Les aiguilles de Valbelle

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